samedi 21 novembre 2020

L’infirmière qui murmurait à l’oreille des patients…

 


Vendredi 23 octobre : ma chère Mamichou-belle-au-bois-dormant, voilà 3 jours qu’enfin tu reprends des forces ! Les médecins sont positifs et tu progresses ! Félicitations Mamichou. Je suis toujours reliée à toi, mille douceurs.

Jeudi 5 novembre, bonjour Mamichou, je partage avec toi le flamboiement de l’automne : des couleurs pour réchauffer ton cœur, te vivifier et te donner toujours et encore du courage pour remonter la pente, patiemment. Avec toute ma tendresse. 

Petit bonjour du dimanche matin. Tu as occupé ma nuit, j’ai rêvé que tu reprenais des forces, en acceptant de manger des compotes, au point que je te voyais cuisiner un énorme rôti pour le personnel de l’hôpital 😉

Combien de messages envoyés sur le portable de Mamichou, ma tante chérie, qui n’attendent plus de réponses puisqu’elle n’a même plus la force de les lire ? Privée de muscles qui ne répondent plus à rien. Privée d’envie, elle qui a toujours célébré la vie... A quoi bon. Le covid est passé par là. La voilà depuis 2 mois en réanimation, oscillant entre éveil et sédations successives, incapable de respirer sans la machine. Une funambule, encore les deux pieds sur le fil de la vie, mais qui peut chuter à tout instant.

Dans l’enfer de cette maladie, où nos seules attentions peuvent être ces messages courts, à distance, puisqu’on ne pénètre pas en « zone covid » à l’hôpital, encore moins lorsqu’on est confinés dans un périmètre d’un kilomètre, la lumière vient des infirmières de l’hôpital du Parc. Parce qu’elles prennent le temps de nous donner des nouvelles détaillées chaque jour. Parce que leur optimisme vacille quand celui de Mamichou vacille. Parce qu’elles se battent coûte que coûte pour elle. Et parce que si Mamichou n’est plus consciente aujourd’hui, à nouveau plongée dans le coma, Sophie l’infirmière dévouée et aimante a pris l’initiative de lui lire chaque journée, dans le creux de son oreille, tous nos messages : « on ne sait pas la perception de l’instant et pour le moral, tout est important, » avance-t-elle.

Pendant ce temps, à quelques kilomètres de l’hôpital : « bonjour c’est Aïda, c’est madame Luret qui m’a demandé de t’écrire pour t’envoyer la vidéo de son anniversaire. Si vous avez WhatsApp, dites-le-moi. » Aïda ? C’est la première fois que j’en entends parler, j’apprends par notre échange de SMS qu’elle fait partie du personnel de l’Ehpad où vit « Madame Luret » : la jeune sœur de Mamichou, handicapée depuis son enfance, et ma marraine. Catherine vit non loin de chez Mamichou, dans une magnifique maison de retraite à Montpellier. Un lien particulier les unit : plus que deux sœurs, Mamichou est une seconde maman pour elle.

Aïda, l’aide-soignante de la Maison de retraite où il nous est également interdit de nous rendre – covid oblige… – prend le temps de partager avec moi qu’elle n’a jamais vue ni entendue, des photos de l’anniversaire de Catherine. Parce que cela fait plaisir à tout le monde, parce que cela me rassure de la voir heureuse, émue d’être entourée par tout le personnel de la maison de retraite qui danse et chante autour d’elle en lui souhaitant à tue-tête un joyeux anniversaire ! Sa famille aujourd’hui, ce sont là aussi des personnes dévouées corps et âme, sincères, gentilles, attentionnées, délicates, qui l’entourent parce que nous, sa famille de chair et de sang, nous n’avons pas le droit de l’entourer… ni même le jour de son anniversaire, ni même lorsque sa sœur tant aimée se débat à quelques kilomètres d’ici entre la vie et la mort.

Et quand je remercie Aïda pour tout ce qu’elle fait, elle me répond : « c’est avec plaisir, Mme Luret aussi elle est adorable, bon dimanche. »

Bon dimanche ? Il a un goût bien particulier ce dimanche, partagé entre l’admiration sans limite que je crie de toutes mes forces à ces personnels soignants et aidants, à l’hôpital ou en maison de retraite, qui prennent soin de nos malades et de nos personnes âgées comme s’ils agissaient pour leurs propres familles… et ma colère immense et mon infinie tristesse face à l’absurdité de la situation : comment pouvons-nous être ainsi privés des nôtres, dans des circonstances qui imposeraient que l’on soit à leurs côtés, en train de leur tenir la main ? Rien, non, rien ne peut le justifier.

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