dimanche 24 novembre 2019

Conversation joyeuse avec Carine, psychologue et directrice de La Ruche : Liberté, Egalité…Fragilité !



Aujourd’hui, nous faisons connaissance avec Carine dont l’expérience dans le handicap mental, grâce à son métier et l’association qu’elle dirige, mérite d’être partagée.
Psychologue libérale, Carine accompagne des personnes handicapées mentales en souffrance ainsi que leurs familles. Pour en savoir plus sur ses consultations et/ou prendre rvs, c’est ici.

Par ailleurs, Carine vous invite à la Vente de Noël des Amis de la Ruche (nous en avions parlé il y a 1 an), l’atelier d’artisanat qu’elle anime et qui accueille des personnes porteuses ou non d’un handicap. La vente de ses talentueuses abeilles aura lieu mardi 26 novembre de 9 à 19h, 8 avenue Dutertre, 78150 Le Chesnay. Venez nombreux, plein de jolis cadeaux à trouver !

Allez, on écoute à présent le témoignage de Carine !

Pouvez-vous en quelques lignes, vous présenter et nous dire quel est votre lien avec le handicap (familial, amical, associatif…) ?
 Depuis que je suis toute petite, j’ai toujours été attirée par les personnes handicapées, leur tendresse, leur spontanéité, leur façon d’être en vérité, et leur humour m’a toujours touchée. En rentrant à l’Ecole des Psychologues Praticiens, dans les années 90, je souhaitais déjà travailler auprès d’elles.
Il y a 12 ans, j’ai eu la chance de participer à l’aventure de la création de la Ruche, atelier d’artisanat, où se réunissent des personnes porteuses ou non d’un handicap mental (la plupart sont des personnes porteuses de trisomie 21), j’y suis directrice. Mon rôle est de coordonner l’ensemble de l’atelier et de veiller à l’épanouissement de chacun de nos jeunes handicapés.
De nombreuses personnes qui viennent à la Ruche me disent que c’est leur plus beau moment de la semaine ! Je crois que cette atmosphère de paix et de joie, dans un climat de bienveillance, leur fait du bien !
Depuis plusieurs années, en parallèle, je me suis installée une journée par semaine en tant que psychologue clinicienne en libéral pour accompagner des personnes porteuses d’un handicap mental, ainsi que leurs parents et leurs frères et sœurs.

Racontez-nous une anecdote positive, un beau souvenir partagé aux côtés d’une ou plusieurs personnes handicapées, une situation qui vous a touchée, émue, fait rire, stimulée…
Difficile de choisir une anecdote ou un beau souvenir, tellement il y en a ! La dernière que j’ai trouvée très belle : je demande aux jeunes, au cours d’un jeu de société, quelle est la devise de la France. Ils me répondent, avec leur spontanéité qui nous touche tant : liberté, égalité, FRAGILITE ! Une devise que l’on aimerait avoir plus dans notre société, non ?

Que vous apportent les personnes handicapées que vous côtoyez ?
Le contact avec une personne handicapée évolue d’abord de la compassion, au désir d’aider, puis vient l’émerveillement devant les richesses de son cœur : sa fidélité, sa soif d’aimer et d’être aimée, son désir de paix, d’unité et de vérité.
Dès la première rencontre, elles me touchent et me désarment par leur simplicité dans les relations aux autres, dans leur manière d’être en vérité.
Je les aime pour elles-mêmes, pour ce qu'elles sont, dans leur simplicité, leur joie, leur tendresse. Je suis touchée par leur fécondité : elles suscitent la charité, la gentillesse, l’ouverture aux autres. Elles m’obligent à prendre du recul, à accepter et à comprendre leurs fragilités, dues à leur handicap.
Elles me donnent des leçons d’humilité.

Spontanément, quels sont les mots-clé (un nom, un adjectif…) que vous associez aux personnes handicapées mentales ?
Je crois que le titre du documentaire sur Jean Vanier sorti en janvier dernier au cinéma est très évocateur : L’ELOGE DE LA TENDRESSE.

Selon vous, quelle est la qualité principale dont il faut faire preuve pour accompagner une personne handicapée avec le sourire ?
L’empathie bien sûr, l’humour aussi ! C’est également une de leurs qualités !

Avez-vous envie de partager quelque chose en particulier ?
Je voudrais vous partager un bel exemple de leur fécondité, qui m’a profondément touchée.
Il y a quelques années, j’ai été mise en lien avec de jeunes parents qui venaient d’avoir une petite fille trisomique. Ils étaient complètement perdus, un tsunami venait de s’abattre sur eux. Afin de réfléchir avec recul, ils ont fait le choix de la laisser en pouponnière pour prendre la meilleure des décisions possibles, à savoir la confier à l’adoption ou l’accueillir dans leur foyer.
Après avoir eu beaucoup de jeunes parents au téléphone, ils ont souhaité être en contact avec moi afin de parler du handicap à l’âge adulte. C’est la maman qui a souhaité rencontrer des jeunes de la Ruche, elle avait besoin de se projeter pour que sa décision murisse.
Le rendez-vous était donc pris. J’avais choisi deux jeunes femmes trisomiques, très amies, et très différentes aussi. L’une assez intériorisée et calme, l’autre plus bavarde et plus exubérante. Je leur avais juste dit que j’avais eu au téléphone des parents qui venaient d’avoir un petit bébé trisomique et qu’ils étaient contents de les rencontrer. En aucun cas, j’ai parlé d’abandon éventuel du bébé, trop violent pour ces jeunes.
Après avoir visité la maison où elles habitent, et avoir parlé de leur quotidien, nous nous sommes réunis autour d’un café, les parents avaient l’air à l’aise et heureux de cette rencontre.
Puis la maman s’est adressée à moi et m’a dit : « comment je sais si je serai une bonne mère ? »
Anne-Laure s’est alors gratté la gorge, et avec beaucoup de calme et de profondeur, l’a prise dans ses bras et lui a dit, (sans bégayer, ce qui est exceptionnel) :
« Toi, Sophie, tu es déjà une bonne mère. Et toi, Martin, tu es déjà un bon père. Vous savez, quand je suis née, mes parents ils ont dit : quoi, elle est trisomique ? Ils ont beaucoup pleuré. Mais votre bébé, c’est Dieu qui l’a créée, et il l’aime. S’il est trisomique, c’est pas de ta faute. Mes parents quand j’étais petite, ils m’ont appris plein de chose, je suis allée à l’école, j’ai grandi, et maintenant je suis heureuse, c’est grâce à mes parents. »
Nous étions tous très émus, Anne-Laure avait tout dit. Elle leur a parlé de cette culpabilité qui les minait, elle les a rassurés, avec ses mots, ses gestes.  En tant que chrétienne, j’ai senti la force de l’Esprit Saint agir en elle.
Quelques jours plus tard, j’ai appris que ces jeunes parents étaient allés rechercher leur petite fille à la pouponnière. Et que les mots d’Anne-Laure leur avaient permis de prendre leur décision.

Vous connaissez une personne en situation de handicap ou un aidant désireux d'un soutien et d'un accompagnement psychologique ?

samedi 16 novembre 2019

Chili… Un cri se fait entendre !


J’ai un attachement tout particulier pour le Chili. Sa beauté sauvage, sa géographie de l’extrême, une forme d’insularité – entre Pacifique et Cordillère - qui lui donne du caractère. Une très vive et fidèle amitié, de plus de 35 ans maintenant, me lie définitivement à ce pays… Voilà pourquoi la révolution sociale, qui gronde maintenant depuis plus d’un mois, me touche infiniment.

Vous allez me demander… Pourquoi parler du Chili sur ce blog ? La réponse est dans le titre : un cri se fait entendre ! Ce cri, c’est bien sûr la colère sociale qui se fait entendre à Santiago… Mais c’est aussi le cri de Jean Vanier, l’inspirateur de ce blog et de mon engagement auprès des personnes en situation de handicap, qui dénonçait déjà, dans son essai Un cri se fait entendre (publié en 2017), l’injustice au Chili. A la lumière des événements en cours et tandis que tout le monde qualifiait le Chili – son président Sebastian Pinera en tête – d’« oasis », le regard de Jean Vanier une fois de plus est saisissant : il avait perçu la coexistence de deux Chili nés de la recette ultra libérale, qui ne savent plus se parler, ni aller à la rencontre l’un de l’autre. Lisez plutôt l'extrait copié...

Faire tomber nos murs de sécurité pour rencontrer l’autre
C’est en s’appuyant sur cette observation (parmi d'autres) que Jean Vanier fonde sa réflexion sur ce qui nous sépare et nous empêche de rencontrer l’autre différent. Chaque groupe, chacun d’entre nous, est enfermé dans ses murs de sécurité qui se nourrissent de nos peurs enfouies au fond de nous, de nos blessures les plus profondes parce que, sans toujours en avoir conscience, nous avançons avec nos fragilités originelles, nos vulnérabilités. Celles-là même qui motivent nos besoins de reconnaissance, nos désirs de possession, notre course effrénée vers les succès. Ce sont ces murs de sécurité – physiques comme psychologiques – qui nous enferment, assèchent nos existences en nous empêchant d’aller vers l’autre différent : « les riches qui ont peur des pauvres », « les pauvres qui ont peur des riches », les personnes dites « normales » qui craignent d’aller au contact des personnes en situation de handicap…
Un cri se fait entendre, c’est un appel à abattre progressivement les murs, à nous libérer de ce qui nous entrave, nous emprisonne, pour aller, avec élan, à la rencontre de l’autre différent, fragile, faible et nous ouvrir à une fraternité universelle. 

C’est ce cri qui nourrit mon engagement aujourd’hui… et c’est ce cri - je le souhaite du fond du cœur, qui permettra aux Chiliens de se réconcilier autour de plus de justice.